« Les escargots du jardin qui sont multicolores… c’est toi, hein ? Tu t’amuses avec les escargots ?
- Comme ça, tu leur marches plus dessus avec tes grosses chaussures, tu les vois, maintenant ! »

Guinevere avait six ans, et c’est son père qui découvrait les premières manifestations de ses pouvoirs. Pauvre homme. Autour de lui, tout le monde jouait au petit sorcier. Ses parents d’abord, puis sa sœur, et puis la fille dont il tomba amoureux. Celle qu’il épousa peu après, d’ailleurs. Maintenant, leur fille. Mais il souriait, ses yeux brillaient, et dans son cœur aussi : il était fier.
Thaddius Tierney est un cracmol. Il est né comme ça, ça ne changera jamais. Il lui a fallu plusieurs années pour l’accepter, et davantage encore pour que son propre père l’accepte à son tour, mais maintenant, tout va bien. Il ne jette pas de sorts, et alors ? C’est un mari aimant, un père épanoui et un petit chef d’entreprise accompli. En y regardant bien, on pourrait presque lui trouver une chose à envier : chaque monde est sien. Il est aussi à sa place dans le monde des sorciers que dans celui des moldus. Et ces deux camps l’adorent. Il a du se faire discret pendant la grande guerre, certes. Sa femme, Rosie, lui interdisait presque de sortir, craignant qu'un envoyé du ministère l'arrête à un coin de rue. Les nés-moldus étaient impurs et indésirables, qu'en était-il des cracmols ? Thaddius explosa tellement à rester enfermé, à ne rien faire, qu'il partit plutôt se mettre au vert. Il alla rejoindre sa soeur en Irlande pendant plusieurs semaines. C'est le seul moment où, vraiment, Georgie commença à avoir peur. A Poudlard, l'ambiance était chaotique, mais les élèves avaient du mal à s'imaginer avec perfection l'état de l'Angleterre, au dehors. Savoir que son père devait se cacher cassa ses pointes d'optimisme. Il ne lui arriva rien, et deux semaines avant la bataille finale, il était de retour dans sa banlieue londonienne. Sa belle-soeur était hospitalisée, tout la famille allait la voir à Sainte-Mangouste.



« Euh, tu es sûre ?
- Mais oui ! Ce sera juste par-fait. Un prénom majestueux pour cette petite blonde échevelée... »

Bon. Soit. Ce sera donc Guinevere. Guinevere, l'équivalent british pour Geneviève, l'épouse du roi Arthur. Rosie avait toujours eu des goûts bizzares, mais ça, c'était de famille, on ne pouvait plus s'en étonner. Êtes-vous déjà entré dans la boutique Cuppy Wizzy ? Vous savez, celle où les tasses dansent, chantent en italien, changent de couleurs ou font la toupie ? Cette boutique-là, oui. Genre la seule où on peut trouver de quoi offrir à notre grand-mère. Et rien que pour elle. Eh bien, elle est tenue par les grands-parents de Georgie. Et oui, encore une chose sur quoi charier la pauvre petite blondie. Rosie a donc elle-aussi grandie au milieu des tasses-qui-dansent, et d'une famille très... créative. Car oui, malgré tout, il faut un paquet de créativité pour concevoir une tasse qui fait des feux d'artifice quand le café est trop chaud. Guinevere, finalement, c'était bateau, à côté du contenu de Cuppy Wizzy.
La polémique sur le prénom avait été plus longue que l'accouchement en lui-même. Pressée de sortir voir le monde des vivants, Georgie était née rapidement, à Sainte-Mangouste. Trois jours après, elle rejoignait le domicile familial, petit pavillon banlieusard comprenant deux chambres et un bureau. Oui, ils n'auraient qu'un enfant, c'est du moins ce qu'ils disaient à l'époque. Six ans après, et je ne plaisante pas : Medor ferait son apparition. QUOI ? C'est une famille de sorciers, ils ont entendu Medor une fois, ils ont aimé. Qu'en savaient-ils que c'était adressé à un labrador ? ça a de toute façon une consonnance très noble. Medor. Prononcez le à l'anglaise. Voilà.

Guinevere a onze ans. Déjà ! Ses cheveux sont plus crépus qu'autre chose et d'un blond à en faire pâlir une allemande. Sa tignasse est impossible à coiffer, aussi, mais avec ça on ne risque pas de la louper dans les couloirs. Georgie fait donc son entrée à Poudlard, comme sa mère l'avait fait bien avant elle, et comme jamais son père ne le ferait. Elle savait parfaitement ce qui allait se passer : on allait lui mettre un vieux chapeau poisseux MAIS qui parle et qui chante sur la tête (*génial, encore un objet qui chante et qui danse...*), et il déciderait de la couleur qui dirigerait sa vie, du dortoir qui serait sien, et des gens qu'elle devrait fréquenter ou non. En gros, son avenir était entre les mains d'un chapeau qui chante. Ca ne lui disait rien qui vaille, mais pourtant, elle avait hâte de voir ça de ses propres yeux. Curiosité, quand tu nous tiens...
« Poufsouffle ! »
Comme sa mère. Alors finalement, Georgie ne découvrirait aucun dortoir. Elle savait parfaitement comment était la salle commune de Poufsouffle, et les lits, et la cheminée, bla, bla, bla. C'est presque déçue que Guinevere alla s'asseoir à la table des blaireaux, mais sa lassitude ne dura pas plus de deux minutes. L'accueil y fut enthousiaste, et déjà, ses fameux futurs amis imposés lui parlaient avec sympathie et intérêt. Elle décidait donc de leur laisser une chance.

Finalement, la salle commune était encore mieux que dans son imagination. Là, il y avait l'odeur du feu, le bruit des conversations, les rayons de lumière. Le parquet craquait sous ses pieds quand elle alla dans son dortoir, et son lit, sitôt repéré, lui donnait envie d'y être allongée. Flâner en bouquinant, dans son dortoir de poufsouffle... une idée qui faisait battre son coeur deux fois plus vite.
La première semaine fut grandiose. Les cours étaient géniaux, la magie ici était tellement plus... magique, que ces tasses qui tournoient, que sa mère qui épluche les carottes. C'était divin, magnifique, fabuleux. Son seul regret était de devoir tempérer sa passion dans ses écrits : narguer son père lui aurait fait une peine monstre. A elle, pas à lui.
Poudlard resta merveilleux à ses yeux pendant trois ans. Sa quatrième année fut sombre, digne d'une dictature. Tous surveillaient leurs pas, leurs dires, leurs pensées. Plus jamais elle ne voulait revivre ça.